Acier aogami ou blue paper steel
12 avril 2024En coutellerie, les aciers peuvent être répartis en deux grandes catégories : les aciers au carbone (ou aciers non inox) et les aciers inoxydables (abrégés en aciers inox). Dans cet article, on a décidé d’aborder un acier au carbone très utilisé en coutellerie japonaise et notamment en cuisine : l’acier aogami tel qu’il est nommé en japonais et que l’on connaît aussi sous sa dénomination anglaise de blue paper steel.
L’acier aogami (ou aoko) est un acier au carbone qui possède un taux de carbone très élevé et qui est enrichi en chrome et en tungstène. En japonais, ao gami veut dire “papier bleu” raison pour laquelle il est fréquent de rencontrer ce même acier sous sa dénomination anglaise de blue paper steel qui veut littéralement dire “acier à papier bleu”. Ce nom fait simplement référence à l’emballage utilisé par le fabricant Hitachi pour distinguer les types d’aciers fabriqués par le sidérurgiste japonais. Et si vous vous demandiez pour quelle raison les Japonais désignent les aciers par la couleur de leur emballage, c’est tout simplement parce qu’il est impossible de distinguer les aciers à l’œil nu sans connaître leur composition chimique exacte. Si l’on vous soutient le contraire, fuyez !
À titre de comparaison, Hitachi produit également un acier nommé white paper steel qui est conditionné dans un emballage en papier blanc. En japonais, cet acier est appelé shirogami et son taux de carbone est également très élevé mais il est moins résistant à la corrosion que l’acier aogami. On peut également rencontrer le terme shiroko pour désigner cet acier au carbone hautement purifié.
Les aciers aogami appliqués à la coutellerie de cuisine
On peut distinguer plusieurs types d’aciers aogami : l’acier aogami #1, l’acier aogami #2 et l’aogami super. Tous les aciers de type aogami sont caractérisés par un niveau de dureté élevé (niveau indiqué sur l’échelle de Rockwell de 0 à 100), un très bon tranchant et une bonne résistance à l’abrasion. Les amateurs de couteaux à lame carbone apprécient l’acier aogami pour la durabilité de son tranchant bien qu’il nécessite une certaine habileté en matière d’aiguisage pour son entretien. Et quand on parle d’aiguisage, c’est à la pierre à eau japonaise, bien entendu.
Pour obtenir de l’aogami, Hitachi ajoute du chrome et du tungstène à de l’acier shirogami #2, ce processus a pour effet d’augmenter la dureté de l’acier mais aussi d’accroître la production de molécules de carbures durs, ce qui entraîne une augmentation de la tenue de coupe. Shirogami et aogami partagent de nombreux traits communs du point de vue de la composition chimique et du comportement de coupe, mais l’acier aogami surpasse le shirogami du point de vue de la tenue de coupe, c’est-à-dire que l’acier dispose de propriétés physico-chimiques qui lui permettent de rester aiguisé plus longtemps.
On continue la série des aciers aogami avec l’acier aogami super ou aogami super blue steel dans sa version longue. L’emballage de cet acier est d’un bleu plus soutenu que les aogami #1 et aogami #2 d’où son nom d’aogami super. Nombreux sont ceux qui considèrent l’acier aogami super comme le meilleur acier au carbone pour la coutellerie de cuisine car les lames produites avec cet acier ont un tranchant absolument incroyable.
Les aciers aogami en pratique
De nombreux fabricants couteliers mais, aussi et surtout, de nombreux artisans couteliers japonais utilisent l’acier aogami pour la fabrication de leurs couteaux. Comme évoqué plus haut, l’aogami est un acier très employé en coutellerie de cuisine mais on peut également le retrouver pour la confection d’outils, d’outils de jardin surtout, et des couteaux de type higonokami.
Le fabricant japonais Tojiro, installé à Tsubame-Sanjo, emploie l’acier aogami pour sa gamme de couteaux de cuisine Aogami Damas, et forcément en version damassée. Il s’agit de l’acier aogami #2 contrairement à la gamme Aogami de Tojiro qui est produite à partir d’acier aogami #1.
Tojiro propose également des couteaux réalisés en acier aogami super, des pièces réalisées de façon artisanale dans sa gamme prestige Tojiro Handmade avec en prime de superbes motifs damassés. Ces couteaux sont en quelque sorte des chefs-d’œuvre dans le sens où ces couteaux sont réalisés par les meilleurs ouvriers de chez Tojiro.
On poursuit avec un autre coutelier japonais qui produit à grande échelle : Kane Tsune et dont les unités de production sont situées à Seki-city, comme Kai, Suncraft ou encore Misono. La gamme Kane Tsune Blue Paper Steel Damas est réalisée avec des lames en acier aogami #2 et comme son nom l’indique, en version damassée.
On reste encore un peu dans le domaine de la coutellerie industrielle, japonaise toujours néanmoins, avec la gamme Haiku Blue Steel réalisée en acier aogami #1 et on ne résiste pas au plaisir de vous présenter une forme de lame traditionnelle de la coutellerie japonaise : le yanagi, intitulé ko-yanagi lorsqu’il est en version miniature.
Les couteliers artisanaux ne sont pas en reste et l’acier aogami se trouve employé dans de nombreux modèles de couteaux artisanaux comme chez Tadafusa, Shiro Kamo, ou encore Takeshi Saji. Il est tout à fait possible de retrouver un acier employé en combinaison avec un autre type comme dans la gamme Nashiji de Tadafusa illustrée ci-dessous avec un modèle de santoku. Le noyau est en aogami tandis que les flancs sont “chemisés” avec de l’acier doux.
Le même principe est appliqué pour la gamme Arata illustrée ci-dessous avec un modèle de gyuto doté d’une lame de 21 cm.
On ne résiste pas au plaisir de vous présenter un modèle réalisé par le coutelier japonais Takeshi Saji. L’artisan japonais utilise l’acier aogami pour le noyau de sa lame et produit un couteau avec un rainbow damascus sublime.
L’aogami atteint un niveau de dureté de l’ordre de 63±1 HRC (sur l’échelle de Rockwell) avec de très légères variations parmi les modèles de couteaux japonais présentés dans cet article.
On poursuit avec du Damas toujours et l’artisan japonais Yauji Yoshihiro, formé auprès du maître coutelier Hideo Kitaoka. Yauji Yoshihiro a l’habitude de travailler l’acier aogami, en version damassée notamment et de réaliser des lames asymétriques.
On vous présente également un couteau produit par le coutelier japonais Yoshida Hamono avec une forme devenue très populaire : la forme bunka, très proche de la forme kiritsuke qui désigne un couteau à pointe tombante droite. On peut apprécier le travail de forge de la lame sur l’acier aogami et ici en l’occurrence la finition brut de forge sur la partie supérieure de la lame.
On souhaitait conclure cet article en vous présentant une pièce d’une grande rareté produit par Manaka Hamono qui présente le grand avantage d’afficher une lame damassée, une finition martelée (tsuchime) et un brut de forge.
Le travail de la lame est remarquable avec un acier forgé et damassé ainsi qu’un martelage (tsuchime). La réalisation du manche est également très belle avec l’utilisation de loupe d’amboine et une double mitre en corne de zébu. Les intercalaires sont en maillechort. C’est tout simplement un couteau unique, une pièce exceptionnelle.
En conclusion, on peut dire que l’acier aogami est utilisé au Japon aussi bien par des fabricants qui produisent à grande échelle que des artisans couteliers dont la production est plus confidentielle. Les aciers au carbone sont plus contraignants du point de vue de l’entretien mais le pouvoir de coupe de l’acier aogami et le travail réalisé par les maîtres couteliers relèguent au second plan tous les problèmes liés à l’entretien. On vous aurait bien dit que vous pouviez acheter ces couteaux les yeux fermés mais vous risqueriez de ne pas en profiter.